APPEL À COMMUNICATION

THÈME DU COLLOQUE
 
Durant les deux derniers siècles, la population mondiale a été multipliée par sept; elle se concentre désormais pour plus de la moitié dans les villes. La globalisation et le développement de la communication numérique, de même que les bouleversements politiques des dernières décennies sont venus complexifier les facteurs de l’urbanisation. Plus que jamais, les villes dont la « fonction refuge » (Dumont, 2020) se maintient et se diversifie, constituent des pôles d’attraction de migrations diverses. Les prochaines décennies devraient voir la croissance urbaine s’accentuer. Toutefois, la vitesse et les formes de l’urbanisation sont diverses selon les continents ou les pays. Si les pronostics concernant la poursuite de l’urbanisation mondiale varient face à certains indicateurs démographiques (Pison, 2019) et à l’imprévisibilité de bouleversements politiques, économiques ou sanitaires, il n’en reste pas moins que la concentration de la population dans les villes pose un ensemble de problèmes. Elle génère, en effet, des besoins en infrastructures, entraine l’augmentation des mobilités des populations et présente des défis écologiques majeurs au développement durable. Face à ces réalités, les inégalités géopolitiques et sociales sont criantes, d’autant plus qu’elles s’inscrivent dans « l’architecture des processus de mondialisation » (L’Atlas, 2018) où les villes dites du Sud ne se situent pas en meilleure position.
 
Les caractéristiques des villes aussi bien que leur extension, leurs transformations ou même leur émergence, se lisent à travers leurs paysages linguistiques sonores et graphiques. Depuis plus de quarante ans, grâce à l’exploitation de sources pluridisciplinaires, de travaux de terrain et d’analyses des pratiques langagières ou des discours sur la ville, la sociolinguistique pose la question de savoir ce que la ville fait aux langues ou ce que les langues font à la ville (Bulot, 2001). Attentives aux transformations des villes, à leurs facteurs et à la complexité des échanges qui y ont lieu, les études mettent en lumière, par l’entrée langagière, des dynamiques d’organisation ou de réorganisation sociales, culturelles et linguistiques, dans des contextes variés et à différentes échelles, comme celle du quartier ou d’un pays ou encore de l’interconnexion des villes dans la globalisation. La description de l’écologie des langues ou de niches écologiques particulières révèle des dynamiques des pratiques langagières tout autant que des politiques linguistiques in vitro ou in vivo (Calvet, 1999). Enfin, l’étude des paysages sémiotiques et des pratiques langagières nous renseigne sur les rapports sociaux et les imaginaires spatiaux qui les sous-tendent et les transforment.
 
Les mutations et bouleversements politiques, économiques, communicationnels et écologiques des dernières décennies ont conduit au renouvellement en sciences humaines et sociales des questions concernant l’espace et la reconceptualisation des frontières, des territoires et des mobilités, y compris dans leur dimension discursive. Ils posent également la question de l’impact de la mondialisation de l’urbanisation sur l’avenir des sociétés et de l’humanité et ainsi, celles de la relation entre langues et développement. Enfin, elles entrainent en sciences humaines et sociales une réflexion critique concernant les perspectives de recherche sur un plan théorique et méthodologique aussi bien que culturel et politique.
 
Dans cette veine, les connaissances sur la ville sont elles-mêmes remises en question : qu’est-ce qu’une ville aujourd’hui ? De quel point de vue les villes, jusqu’ici, ont-elles été décrites ? Quels sont les concepts qui ont permis d’en saisir les formes et les dynamiques ? Comment renouveler l’étude des villes et de leur historicité, à partir d’analyses fondées sur des logiques culturelles locales ou en envisageant l’espace et les frontières comme des constructions sociales ?
 
Ces questions, seront posées lors de cette rencontre scientifique. Celle-ci s’inscrit dans la continuité de trois colloques ayant eu lieu à Dakar et à Libreville, entre 1995 et 2000, consacrés à la relation entre langues et villes et ayant participé à asseoir le champ de la sociolinguistique urbaine. Une vingtaine d’années après le dernier de ces évènements, se pose la question de savoir comment (re)penser la ville sous son versant linguistique (Calvet, 2021), dans le contexte de l’urbanisation du monde. L’objectif est de faire le point sur les études de l’urbain en sociolinguistique ainsi que sur leur contribution aux questions vives en sciences humaines et sociales qui viennent d’être soulevées.
 
Ces journées, organisées à l’initiative d’ancien-ne-s doctorant-e-s et collègues de Louis-Jean Calvet dispersé-e-s à travers le monde, veulent faire aussi un bilan de ses apports et de son influence en sociolinguistique, domaine de recherche qu’il a contribué à construire et structurer. De la « glottophagie » introduite dans Linguistique et colonialisme à la réflexion sémiologique du Jeu du signe, en passant par les études sur La chanson, bande-son de notre histoire et Méditerranée, mer de nos langues, on peut mesurer l’ampleur de sa curiosité scientifique, la pluralité des éléments moteurs de ses recherches et de ses objets d’étude. Cette diversité présente une riche réflexion qui s’ordonne autour de concepts ou de notions -clés comme : plurilinguisme, sud, migration, ville, colonialisme, signes, politiques linguistiques, glottophagie et nous permet de comprendre les sociétés sous leurs aspects linguistiques.
Les questions soulevées ci-dessus pourront être traitées selon différents axes, comme par exemple :
1 – La description et l’analyse d’écologies linguistiques à l’échelle locale et/ou globale
Qu’est-ce qu’une ville ou qu’est-ce que l’urbanité aujourd’hui ? Quelles sont les frontières entre villes et campagne ? Comment la description des pratiques langagières rend-elle compte de l’urbanisation, de la transformation ou de l’émergence des villes, de leur inscription dans des réseaux d’échanges locaux et globaux ? Comment rend-elle compte des contacts entre populations de cultures et de langues différentes, de l’appropriation de l’espace et des rapports sociaux ou des rapports de pouvoir auxquelles les langues participent ?
 
2 – Production langagière de l’espace
En quoi la ville peut-elle être conçue comme une construction sociale produite par les pratiques langagières ou les discours ? Comment les manières de parler ou les discours participent à produire la ville ou des espaces urbains ou encore comment les imaginaires spatiaux produisent des modèles langagiers attractifs ? On pourra également s’intéresser aux récits sur la ville, à différentes échelles, individuelles ou collectives, et dans des contextes divers, en tentant de comprendre la production discursive d’espaces urbanisés comme « la ville africaine » ou « les banlieues ».
 
3 – Circulations migratoires et plurilinguisme
Les « circulations migratoires » (Deprez, 2006) et leur impact sur les villes et réciproquement seront au centre de la réflexion. On s’intéressera à la façon dont les paysages sémiologiques urbains – graphiques ou sonores – rendent compte de la territorialisation sociale de l’espace et des tensions sous-jacentes. Quels sont les enjeux et quel est le rôle des pratiques langagières ou des langues dans le maintien des rapports de force ou leur subversion dans des espaces plurilingues urbains, dans des espaces sociaux divers comme au sein d’institutions ?
 
4 – Savoirs, durabilité et développement
En tenant compte de la complexité des facteurs de maintien des langues ou de shift et de l’agentivité des acteurs sociaux, il s’agira de se demander si et en quoi la préservation de langues minoritaires dans la ville (langues de migration, autochtones, régionales) ou encore la diversité linguistique représente un enjeu pour le développement durable dans un monde urbanisé. La question des savoirs traditionnels et de leur transmission/préservation par les langues pourra, par exemple, être posée de façon critique.
 
5 – Histoires et épistémologies
Un autre axe pourrait spécifiquement se centrer sur la réflexion théorique et méthodologique critique concernant l’étude de la ville sous son versant langagier. Avec quelles théories, quels concepts, quelles approches méthodologiques la ville a-t-elle été étudiée et quel contexte socio-politique et scientifique a infléchi les questions ? Quelles sont les limites de ces études ? Comment pourrait-on en renouveler les approches ?
 
Ces rubriques ne sont qu’indicatives et toute proposition en lien avec la problématique générale sera bienvenue. Les questions pourront être traitées à partir de situations et de pratiques diverses : orales, littéraciées, artistiques (chanson, littérature, etc.), etc.
 
Des recherches en sociolinguistique, mais aussi dans d’autres domaines de recherche en sciences humaines et sociales, sont attendues.
 
Références
• Bulot Thierry (dir), 2001, « Sociolinguistique urbaine, Variations linguistiques : images urbaines et sociales », Cahiers de sociolinguistique, n°6.
• Calvet Louis-Jean, 2021, « La ville », Dictionnaire de la sociolinguistique, Langage et société, Hors série, : 341-344.
• Calvet Louis-Jean. 1999. Pour une écologie des langues du monde. Paris : Plon.
• Deprez Christine. 2006. « Ouvertures. Nouveaux regards sur les migrations, nouvelles approches des questions langagières », Langage et société 2006/2(116) : 119-126.
• Espace mondial L’Atlas, 2018, « Urbanisation du monde », https://espace-mondial-atlas.sciencespo.fr/fr/rubrique-mobilites/article-2A02-urbanisation-du-monde.html
• Dumont Gérard-François, 2020, « L’urbanisation dans le monde : pourquoi et jusqu’où ? », Politique étrangère 85(32) : 113-128.
• Nations Unies. 2019. Paix, dignité, humanité sur une planète saine. https://www.un.org/fr/global-issues/population.
• Pison Gilles. 2019. « Tous les pays du monde », Population & Sociétés 569. https://www.ined.fr/fichier/s_rubrique/29504/569.en.population.societies.world.2019.en.pdf
 
Propositions de communication
Les personnes intéressées sont invitées à envoyer leur proposition de communication à l’adresse lum2022@ucy.ac.cy avant le 15 mai 2022 sous forme de résumé de 10 à 20 lignes (3000 signes maximum) en format Word comprenant : l’axe où s’inscrit la proposition, la précision du contexte, la problématique posée, le corpus proposé, le but de la contribution et quelques références théoriques (concepts ou auteurs, 5 références maximum).
 
Évaluation des propositions
Chaque proposition de communication sera évaluée selon une procédure en double aveugle. Les participant.e.s seront informés de l’acceptation de leur contribution le 30 juin 2022 au plus tard.
 
Langues du colloque : français, grec, anglais